QU’EST-CE QUI CLOCHE AVEC NOS ENFANTS ?

30 mai 2023

Les enfants n’ont jamais été aussi nombreux à devoir composer avec des difficultés d’apprentissage, des troubles de comportement ou des diagnostics qui compliquent la vie des professeurs et du système de santé. Dans les classes, c’est un élève sur quatre, une proportion effarante. Et ça continue d’augmenter. Notre chroniqueuse Marie-Eve Fournier a cherché – et trouvé – des explications.

FLAMBÉE DES TROUBLES ET DIFFICULTÉS
Non mais, qu’est-ce qui ne va pas avec nos cocos ? Il suffit d’écouter un professeur du primaire pendant 10 minutes pour sursauter d’incrédulité. Les enfants ont tellement changé que nos souvenirs de l’école n’ont plus rien à voir avec la réalité. Tous les professionnels vous diront qu’en 20 ans, la gestion d’une classe s’est hautement compliquée.Des enfants en crise lancent des chaises à la moindre contrariété. Des techniciens en éducation spécialisée sont appelés à la rescousse pour attraper des élèves qui se défilent tandis que les autres doivent quitter leur local pour leur propre sécurité. Des enfants crient, mordent, insultent. Des directions d’école vont jusqu’à appeler le 911 pour que des policiers viennent maîtriser des enfants de 7 ou 8 ans ! D’autres partent en ambulance.

Le système de santé doit aussi composer avec des situations naguère inimaginables. « Des ados en peine d’amour qui se présentent à l’urgence, on en voit », rapporte la pédopsychiatre Annie Loiseau, qui pratique à Rimouski. D’autres enfants refusent d’aller à l’école. Parfois, c’est l’inverse : l’école se dit incapable de les scolariser. Dans tous les cas, des équipes de professionnels doivent les prendre en charge.

« De plus en plus, je retarde la première année simplement parce que les enfants manquent d’autodiscipline et d’autocontrôle.

Le Dr Jean-François Chicoine, pédiatre au CHU Sainte-Justine et professeur agrégé au département de pédiatrie de l’Université de Montréal

Son confrère, le pédiatre social Gilles Julien, rapporte qu’en près de 50 ans, il n’a « jamais vu autant d’enfants dans [ses] cliniques avec des problèmes de santé mentale. […] On voit beaucoup plus de cas d’une grande lourdeur. »

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Ça ne tourne pas carré pour rien dans les écoles.

Tout près de 25 % des élèves ont un « plan d’intervention », c’est-à-dire une stratégie écrite pour que l’école compose avec leur situation particulière (20 % au primaire, 30 % au secondaire). Ça peut être de l’hyperactivité, de l’impulsivité, de l’inattention, de la dysorthographie, de l’autisme, des troubles de développement ou de comportement. Parfois un peu de tout ça en même temps.

C’est déjà énorme, mais ça continue de croître chaque année.

Devrons-nous un jour composer avec 50 % d’enfants en difficulté ? Si la tendance se maintient et que rien n’est fait, c’est un risque.

Ce serait évidemment une catastrophe. Imaginez un peu la pression que cela exercerait sur notre réseau scolaire déjà en manque de ressources… Les profs sont au bout du rouleau, ce qui fait monter leur taux d’absentéisme en flèche1. Tandis que les spécialistes qui les entourent – techniciens en éducation spécialisée, psychoéducateurs, orthophonistes, travailleurs sociaux, ergothérapeutes, neuropsychologues, psychiatres – n’arrivent pas à répondre aux besoins. Même dans le privé, la longueur des listes d’attente est décourageante.

Pendant leurs heures au service de garde, les enfants ne vont pas mieux. De fait, une éducatrice sur deux dit avoir été victime de violence verbale ou physique, selon un récent sondage réalisé par leur syndicat. Il est question de coups, de morsures, d’insultes, de crachats.

On peut trouver toutes sortes de solutions pour gérer la situation, ce qu’on fait du mieux qu’on peut avec les moyens qu’on a. Mais il faut aussi comprendre ce qui provoque cette multiplication rapide de tous ces troubles qui affectent les enfants. Sans ce savoir, impossible de réfléchir à la question, impossible d’agir en conséquence.

Dans le cas des changements climatiques, les scientifiques ont su nous énumérer la liste des comportements humains néfastes. On sait qu’il faut réduire nos voyages en avion et notre consommation de viande rouge. Certaines personnes ont fini par se sentir mal à l’aise de rouler en VUS, d’autres continuent à nier l’évidence, mais l’information circule. Elle contribue aux débats.

On ne pourrait imaginer la science nous cacher de l’information sous prétexte que cela nous culpabilise.

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Lorsqu’il est question des enfants, le sujet est toutefois plus émotif, plus personnel.

D’ailleurs, ceux qui osent du bout des lèvres remettre en question les façons de faire de la société en général et des familles en particulier s’attirent rapidement des critiques.

L’idée ici n’est pas de rajouter une couche de stress sur les épaules des parents qui font tout leur possible dans un environnement de plus en plus exigeant. Il s’agit plutôt de partir à la quête de réponses, d’hypothèses et de constatations pour comprendre ce qui provoque tant de défis dans nos écoles, quand ce n’est pas du chaos, carrément.

Nos enfants méritent qu’on creuse la question, même si les réponses font parfois mal.

C’est avec cette conviction que j’ai interrogé pendant plus de 12 heures deux pédiatres, une pédopsychiatre, deux travailleurs en éducation spécialisée (TES), une chercheuse spécialisée dans le sommeil des enfants, une autre qui étudie le développement du cerveau, un neuropsychologue, un orthophoniste, deux professeurs au niveau primaire, une psychoéducatrice, un service de police et une spécialiste des jouets.

Tous s’inquiètent beaucoup, et plus que jamais, pour les enfants.

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